L’homme singulier pense que la danseuse
est une créature légère et raffinée,
délicate et fragile. L’homme singulier
est con. En réalité, la danseuse est
un être masochiste un tantinet brutal.
Oui, la danseuse aime souffrir, la
danseuse se réjouit de la sensation
des os qui craquent et des muscles qui
tiraillent. Elle se plaint de ses
courbatures, elle maudit ses pieds
douloureux, mais en secret, elle chérit
ses blessures. L’homme singulier
imagine la ballerine s’élevant par
ses pointes de satin brillant et
rose, vêtue d’un costume de mousseline
aérienne brodée de paillettes et
sequins. L’homme singulier est toujours
plus con. La vérité, c’est que la
danseuse se traîne dans un studio
poussiéreux en esquissant un sourire
devant ses chaussons usés, gris et
jaune de colophane, qui puent le vernis.
La danseuse se tient à la barre et
contemple dans le miroir sa tenue
d’apparât : collants troués, tunique
reprisée, pantalon informe et tee-shirts
XXL. Un ballet de mèches folles s’échappe
de son chignon serré et quand elle danse,
l’homme singulier a finalement peut-être raison …